Lecture de « Rouge vive » d’Estelle Fenzy par J.L Lostanlen

ROUGE VIVE (Estelle Fenzy / Karine Rougier)

DES BORDS A GUERIR

On m’appelle la Rose Sauvage : ses épines sont plus acérées que la voix de Nick Cave ne le chuchote , en offrande au poème d’Estelle Fenzy, «Rouge Vive ».  En soulagement vient l’autre voix, d’une femme, complète et sensuelle – elles poussent de là, les roses et leurs épines.

Ayons bien en tête cette image, banale et permanente, de deux lignes, de deux corps délités qui s’entremêlent, « lianes [qui] reptilent autour des pierres ». Ce poème veut nous raconter une histoire et, plus, il s’illustre de dessins de Karine Rougier qui fait jaillir des paumes d’une main un morceau de charbon écrasable en diamant. C’est le destin, parmi d’autres possibles, du charbon qui va se pressuriser en gemme. En « j’aime ». Dans le corps du texte, en italique, la voix binaire, l’autre voix, la deuxième au féminin qui dit qu’elle attend, bien sûr, que son amour (re)vienne : « J’ai vu un homme / j’ai vu la vie » : c’est au cœur du livre, sur la page de gauche, à la place du cœur ; lui faisant face, le dessin le plus resserré, la douleur d’un corps/main à genou retenant un nuage qui se bat. Allez voir vous-même ses griffes et leur mystère !

Alors quelle histoire ? Elle est connue, c’est celle du désir, celle du manque, de la séparation, celle de la séduction. De l’attraction. Un instant tout est clair : au village, c’est parti de là, de là nous étions – et quelque chose nous a désunis, si jamais nous fûmes vraiment unis, dans la chair et le moment. L’instant d’après… Et bien il n’est pas après. Il est et reste ce pour quoi nous nous parlons dans ce livre, de notre séparation, et surtout de notre espoir en suspension : « Depuis des millénaires mon histoire se raconte / Vie enfuie bouche close ventre désert cœur d’attente », dit-elle. Lui, faiseur de mots, rassure : « Mes mots lacés / treille d’appâts / dans l’eau grouillante d’ombres écarlates ». Je suis à la guerre mais je te tresse des mots. Je t’écris. Et dans ce que je te raconte je suis comme un fantôme qui ne voit plus bien, ne discerne plus entre la vie d’avant quand les jours pesaient, quand quelque chose s’interposait, et ce moment dans le flou où nous nous rejoignons. « Un souffle après l’autre / homme silence / je compte bien les mots / par lesquels / je respire ».

Homme silence ? Qui fait silence ? Sûrement pas moi maintenant… Je suis devenu dur pourtant  : «Derrière mes pupilles silex ».

Juste là, la « beauté lancinante  et brune / continue ». Comme un impératif… ou bien l’histoire qui se poursuit. Les deux possibilités affirment la tension, l’appel « où amarrer demain. » Une libération que je veux sensuelle, une union du bout des lèvres (parce que fantasmée ?) : « Je nomme aveu / mes mouvements de fruits / mon audace sereine ». Je m’abandonne – nous nous rêvons.

Rouge vif est le sang, vive est la plaie. De chaque bord, écartelée, la peau cherche la peau pour reconstruire la chair.

Faut-il vraiment que nous nous achevions ? – Si c’est ainsi que nous pouvons vivre : l’homme, silex, frappe le front de la femme pour que « se taise le soir rampant / sur sa cicatrice pourpre ». Et il flotte encore dans l’air l’invitation de jeunes amants avant le drame : « Veux-tu que / ce soir / je t’emmène / là où poussent / les rose sauvages ?»

Jean-Luc Lostanlen

« Rouge vive » (Estelle Fenzy / karine Rougier) aux éditions Al Manar

Rouge-vive

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s